L'ouvrage:
Nigeria.
Eugène, riche notable, est très admiré par ses concitoyens. Il est très généreux: il fait souvent des dons à des associations caritatives. On l'admire également pour son courage politique: il possède le seul journal indépendant du pays.
Il est catholique. Il dirige sa famille d'une main ferme. Il élève ses enfants, Jaja et Kambili, dans la foi de la religion.
Eugène ne laisse pas ses enfants voir leur grand-père, parce qu'il n'est pas catholique.
Il ne les laisse jamais fermer la porte de leur chambre à clé.
Il n'hésite pas à leur infliger des châtiments corporels, ainsi qu'à sa femme, lorsque, selon lui, ils ne respectent pas la religion catholique.
A la suite d'un coup d'état, Eugène, très engagé politiquement, envoie, par prudence, Jaja et Kambili séjourner chez leur tante. Découvrant une vie simple, joyeuse, et à la fois respectable, ils se rendent compte que leur père jalonne leurs vies d'interdits dont la légitimité est contestable. Ils s'en doutaient un peu, mais ils s'en rendent mieux compte lors de ce séjour.
Critique:
Ce livre est très fort. La psychologie des personnages est très importante. Kambili et Jaja sont brimés, soi disant pour leur bien. Ils le croient eux-mêmes. Leur père veut qu'ils soient premiers de leurs classes. L'année où se passe l'histoire, Kambili a le malheur d'être deuxième, et son père la sermonne...
Lorsqu'elle finit par se révolter, il la bat tellement qu'elle en meurt presque.
Le lecteur ressent la tension de Kambili, de Jaja, et de leur mère. Ils savent qu'ils seront brimés, et trouvent toujours des excuses à Eugène, surtout Kambili et la mère.
On comprend la paralysie de ces deux enfants qui n'osent rien faire, de peur que leur père les frappe, et les menacent des foudres divines.
On compatit aussi, lorsque Kambili se demande si son père a raison ou tort de les châtier. Après tout, pense-t-elle, il veut leur bien, il veut qu'ils soient conforme à ce qu'il pense que Dieu veut et attend d'eux.
En outre, Eugène est un homme apprécié, par ailleurs. Lorsqu'il châtie sa femme et ses enfants, il pleure de "devoir" leur faire mal pour qu'ils entrent dans le droit chemin. Soit, il pleure et est désolé de leur infliger ces douleurs.(Je vous prie de croire que certains châtiments sont proprement infâmes.) On peut donc penser qu'Eugène est réellement désolé de leur infliger tout cela. C'est d'autant plus effrayant! Voilà un homme qui sait qu'il blesse gravement sa famille tant physiquement que moralement, qui en souffre, mais dont le fanatisme est plus fort que tout! Eugène n'est pas guidé par l'amour, mais par le fanatisme et l'aveuglement. Il ne s'est jamais demandé en quoi cela serait vraiment mauvais que ses enfants réfléchissent, connaissent d'autres religions, d'autres façons de penser, voire l'absence de religion. Il n'est pas sévère par principe éducatif, mais par fanatisme!
La femme d'Eugène est parfois agaçante, car étant adulte, elle devrait avoir une plus grande capacité de réflexion que ses enfants, et pourtant, elle trouve toujours des excuses à son mari. Son geste, vers la fin, est d'autant plus spectaculaire, et on ne peut que saluer son courage, elle qui était si soumise à son mari.
Mon personnage préféré est Jaja. Au début, on le voit aussi perdu que Kambili. Puis, il commence à se révolter un peu. Puis, il se sacrifie pour sa mère et sa soeur. Bien sûr, la toute fin est une note d'espoir, mais Jaja ne va pas oublier toutes les épreuves vécues du jour au lendemain.
La romancière commence par la première révolte de Jaja. Puis, elle revient en arrière, et nous raconte ce qui l'a fait naître. Cela donne plus de force au livre, car au début, le lecteur pense que cette révolte est bien mince, bien insignifiante. Petit à petit, il en saisit toute l'ampleur.
Je recommande ce livre, qui a su m'enthousiasmer. C'est, à mon avis, un excellent roman, qui laissera une empreinte bien plus durable dans mon esprit que certains écrivains, comme Guillaume Musso ou Marc Lévy, plébicités par le public.
Éditeur: Anne Carrière.
La version audio que j'ai entendue a été enregistrée par Michelle Roullet pour la Bibliothèque Braille Romande.
12 réactions
1 De Jo Ann - 17/10/2006, 04:15
Un roman très fort. Il y a eu des moments où j'étais d'avis que l'auteure avait vécu ce genre d'expérience tellement ça paraissait être très réel!
2 De La Livrophile - 17/10/2006, 11:28
Ah! Tu l'as lu!
Je pense qu'il est à lire absolument.
Tu as raison... Parfois, on dirait du vécu...
3 De Jo Ann - 17/10/2006, 11:57
Oui, je l'ai lu l'année dernière je crois. Ça m'a bien marqué! J'ai eu du mal à rentrer dans la lecture. Il y a des livres que j'ai aimé dont je ne me souviens même plus du nom du personnage principal, alors que là...
4 De La Livrophile - 17/10/2006, 12:16
Alors, tu illustres ce que j'ai dit: il laissera une empreinte plus durable que certains autres livres dans les mémoires.
5 De hervé - 27/10/2006, 11:31
Merci de ce conseil. Ce livre ne fera qu'augmenter ma liste à lire
6 De La Livrophile - 27/10/2006, 12:09
J'espère qu'il ne te décevra pas. En tout cas, j'attends ton avis.
7 De Lo - 31/10/2006, 13:04
Je viens de terminer "L'hibiscus pourpre" et je suis toujours sous le charme de l'écriture de Chimamanda Ngozi Adichie. Ce roman est bouleversant et magnifique. Je crois que c'est ton article qui m'a donné envie de le lire, donc merci !
8 De La Livrophile - 31/10/2006, 13:40
Ce que tu me dis me fait très plaisir, Lo. Si je t'ai donné envie de lire le livre, et que la lecture t'a autant bouleversée que moi, ma mission est accomplie!
Merci.
9 De Tête de canelé - 31/07/2007, 15:00
Merci à la Livrophile-Livrophage pour ce merveilleux livre conseillé.
Ce livre est très poignant. J'ai été saisie par l'émotion de l'histoire de cette famille mais aussi transportée en Afrique par les plats, les odeurs...
Je pense qu'il fait effectivement parti de ce genre de livre que l'on porte à jamais en soi. D'ailleurs en apercevant un hibiscus devant un fleuriste j'ai compris que symboliquement je ne regarderai plus ces fleurs de la même façon.
Merci. Sincèrement.
10 De clic clac - 29/09/2007, 18:59
Suite à toutes ces critiques élogieuses ^_^ j'ai acheté et lu ce livre...
Je suis d'accord avec vous tous. Ce livre est magnifique et touchant...
Quelqu'un connaît-il un autre ouvrage de cet auteur? La lecture de ce livre m'a donné envie d'en lire d'autres... ^_^
11 De La Livrophile - 29/09/2007, 19:09
Ah! Je ne savais pas que tu l'avais acheté! Contente qu'il t'ait plu.
J'avais demandé à Sauge (Joss) s'il existait d'autres livres de Chimamanda Gnozi Adichie, mais il m'avait dit que non. Ca fait plusieurs mois, donc un roman d'elle est peut-être sorti depuis...
12 De Roullet Michèle - 15/01/2008, 21:54
www.lalivrophile.net/them... Ayant enregistré "L'hibiscus pourpre, de Chimamanda Ngozi Adichie pour la BBR, j'ai été heurese de lire la critique de ce livre qui m'a permis de retrouver l'atmosphère poignante de ce roman. Donner un éclairage centré sur les enfants et la souffrance qu'ils doivent endurer avec leur père fanatique est une entrée qui montre l'empathie qu'on peut éprouver à la lecture de ce roman. Aborder ce livre sous une approche plus politique est une autre piste. Car, on peut dire que Eugène (le père) symbolise l'Africain colonisé, qui renie en quelque sorte ses racines, devenant ainsi étranger à lui-même, rempli de principes éducatifs et de visées qui deviennent plus importants que la vie. Eugène est prêt à tout, à tuer, s'il le faut, ou à mourir pour une cause noble à ses yeux et qui lui a été enseignée par des conquérants (des supérieurs ou des maîtres). Eugène est ainsi le portrait du fanatique. Son fanatisme est d'autant plus ravageur, qu'aliéné à la culture du colonisateur, il a adopté une langue importée. Il n'est donc capable d'aucun compromis ou d'interprétation qui pourrait enrichir le réel. Non, chez lui, tout est roide, affirmé et pris au sens "propre. Pas d'interstice où le doute pourrait se glisser et la réflexion creuser un sillon. Son prénom "Eugène" (du grec eugenès) signifie d'ailleurs: "de bonne race". L'histoire de Chimamanda Gnozi Adichie nous ramène donc à la folie des hommes qui pour créer "l'homme nouveau" sont prêts à massacrer et tuer pour un idéal! Avec Eugène, on pense à l'eugénisme et aux folies du XXe siècle. On voit combien le fanatisme est ravageur pour ceux qui le subissent. Sa femme, ses enfants, totalement niés comme êtres humains, ne sont que des instruments pour créer ce monde régénéré et pur dont rêve Eugène. Ce roman, qui ne manque pas d'humour et de sensualité même en dépit d'un sujet grave, offre mille lectures possibles. La figure du héro est démystifiée, car nul doute, Eugène est aussi un homme courageux, capable d'actes héroïques. Pour beaucoup, il est le modèle à suivre... Seul son père, homme d'expérience, voit les zones d'ombre de ce fils prodige. Bref un livre à lire... et de toute urgence dans notre monde où l'appel à la pureté refait de nombreux adeptes.