Les mots pour le dire L'ouvrage:
La narratrice, qui est l'auteur elle-même, raconte d'abord comment elle a failli sombrer dans la démence. Ce qu'elle appelle "la chose" se manifeste en faisant couler le sang de la narratrice. C'est comme si elle avait ses règles en permanence. Cela se déclenche n'importe quand, et peut durer très longtemps. Affollée, elle va d'abord consulter un gynécologue, qui lui dit qu'elle a un fibrôme, et qu'il faut l'opérer. Elle accepte, puis refuse au dernier moment.
Ensuite, on l'envoie à l'hôpital, où on la bourre de médicaments qui la rendent amorphe, et l'empêchent de réfléchir. Un jour, elle se révolte contre cela. Elle ne veut pas devenir un légume apathique. Sous prétexte d'une soirée chez son oncle, elle s'enfuit de l'hôpital.

C'est alors qu'elle décide de prendre totalement son destin en main. Elle va voir un psychanalyste. Celui-ci commence par énoncer des règles très strictes. elle ne doit prendre absolument aucun médicament pendant cette psychanalyse, même pas un cachet contre les maux de têtes. Elle ne doit rien écouter de ce qu'elle pourrait entendre à l'extérieur, sur la psychanalyse. Chaque séance à laquelle elle n'assistera pas sera due... C'est ainsi que Marie Cardinal entame le récit de sa psychanalyse. Elle évoque son enfance, son adolescence, des choses enfouies en elle-même, qui, lorsqu'elles sortent la font hurler, trépigner, ou pleurer longuement. Elle évoque surtout sa mère qui est sûrement la cause de son mal-être.

Critique:
Ce livre est le témoignage bouleversant d'une femme qui, un jour, a voulu sortir du marasme, et a voulu s'en donner les moyens. C'est une femme qui crie sa douleur de ne pas avoir été désirée et aimée par sa mère. Cette mère qui savait seulement se montrer sévère et injuste envers sa fille, qui ne savait faire preuve d'humanité envers elle que lorsqu'elle était malade. La narratrice raconte comment elle essayait de gagner l'amour de sa mère en se voulant irréprochable, et en essayant de trouver n'importe quoi qui lui ferait plaisir.
Elle explore aussi l'extraordinaire violence qui siège en elle, et en découvre la source. Elle apprend d'ailleurs les origines de beaucoup de ses problèmes.

Ce livre est un cri poignant qui nous apprend beaucoup, qui nous fait réfléchir, qui sait utiliser (comme le titre l'indique) les mots qu'il faut pour dire la détresse, la souffrance, le mal-être, et la lente reconstruction de l'être. On suit la narratrice dans les étapes de sa psychanalyse, dans les crises qu'elle traverse, dans son parcourt pour se trouver.

Il y a une petite ombre au tableau. C'est quelque chose d'assez désolant, qui nous fait nous poser des questions. Dans son témoignage, la narratrice évoque l'avortement raté de sa mère qui ne la voulait pas. Elle explique que sa mère lui a raconté sans honte tout ce qu'elle avait fait pour avorter "accidentellement" alors qu'elle l'attendait. Elle explique ensuite que lors de sa psychanalyse, ce sujet est souvent revenu, étant un sujet sensible et douloureux. Le lecteur est très touché, très ému, et il comprend bien qu'un tel récit a dû déboussoler la narratrice.
Or, dans un autre livre, "Autrement dit", elle évoque cet épisode. Elle raconte qu'elle l'a longuement exploité dans "Les mots pour le dire", et qu'elle en fait presque un thème central de sa psychanalyse. Et là, elle explique tout simplement qu'en fait, lors de son analyse, cet épisode fut à peine évoqué, car elle avait pris le temps de le digérer seule. Elle a donc amplifié l'importance de ce récit lors de la psychanalyse dans "Les mots pour le dire". A-t-elle voulu faire du sensationnel pour émouvoir encore le lecteur? Elle aurait pu faire ce récit en lui accordant sa vraie place hors psychanalyse, et expliquer comment, seule, elle avait réussi à exorciser le mal qu'il lui avait causé. Cela aurait tout autant ému le lecteur.
Donc, si elle a brodé là-dessus, on peut se demander si elle n'a pas brodé ailleurs. On peut même se demander si elle n'a pas exagéré certains faits, toujours pour faire du sensationnel. Cela serait très dommage, étant donné qu'elle nous livre ici une femme qui souffre, et que trafiquer cette souffrance serait une tricherie vis-à-vis de celle qu'elle était alors, et vis-à-vis du lecteur.

Autre chose m'a gênée. Dans "Les mots pour le dire", elle raconte un rituel sacré aux yeux de sa mère: celui du nettoyage de la tombe de sa petite soeur, petite fille dans le regret de laquelle sa mère vit. Elle raconte également ce rite dans "La clé sur la porte". Non seulement, elle évoque la même histoire dans deux ouvrages différents, mais en plus, m'étant amusée à comparer les deux récits, j'ai découvert que c'était exactement les mêmes, au mot près. Elle n'a donc pas répété l'histoire d'un livre à l'autre inconsciemment, elle l'a fait en connaissance de cause, en reprenant pour l'un les phrases exactes qu'elle avait utilisées pour l'autre. Elle a dû faire un copier-coller. ;-)

Malgré ces petits détails déplaisants, je recommande ce livre percutant, qui ne peut laisser personne indifférent.

Éditeur: Grasset Fasquelle.
La version audio que j'ai entendue a été enregistrée par Jacqueline Candil Lopez.

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