L'ouvrage:
Sarah est écrivain. Son dernier manuscrit n'a pas été accepté, car, pense son éditeur, il ne se vendrait pas. Pour mieux faire passer son refus, l'éditeur l'invite à écrire un livre sur la ville de Gotherdale, située dans les glaces du pôle. Sarah se rend donc à Gotherdale.
Critique:
Ce livre est très particulier. On y voit bien la patte de Brussolo, mais «Boulevard des banquises» se démarque. On y retrouve certaines façons de faire de l'auteur, mais le style est parfois plus poétique, notamment lorsque Brussolo décrit l'ambiance de Gotherdale, et l'omniprésence du froid. Tout comme dans «La captive de l'hiver», l'auteur sait plonger son lecteur au coeur d'un univers glacé, et le décrit si bien qu'on a l'impression d'y être.
L'intrigue est peut-être un peu lente à démarrer, mais c'est compensé par la façon dont le décor est planté: Brussolo entoure sa ville et ses habitants de mystère. Il mêle habilement beauté, laideur, souffrance, culpabilité... Il entrelace également l'histoire de Sarah à celle de Gotherdale. Et puis, par petites touches, il nous dévoile les raisons de l'étrangeté de certains actes des habitants.
Tout est cristallisé avec l'histoire des sous-vêtements si beaux, si doux, et dans les plis desquels se cachent des aiguilles si fines qu'on ne les distingue pas. Ça résume très bien les habitants de Gotherdale et la vie de Sarah.
Cette façon de traiter la culpabilité m'a à la fois fascinée et dégoûtée. Cela n'arrange rien: cela fournit à celui qui s'y adonne un prétexte pour dire qu'il a expié, mais il n'est jamais soulagé, ne se sent jamais lavé de sa culpabilité vraie ou non. La preuve, Sarah a beau se souiller, s'avilir, et s'infliger mille tortures, elle se sent toujours aussi coupable de quelque chose dont elle est innocente.
Pour les habitants de Gotherdale, c'est plus complexe...
Le lecteur flotte en permanence dans une espèce de brouillard cotonneux dû à l'atmosphère de la ville, et au fait que les rêves de Sarah s'inscrivent dans la réalité qu'elle vit.
Au coeur de ce chaos, émergent quelques bulles de rire, par exemple, quand, en rêve, Sarah déchiffre ce qu'il y a écrit sur la tranche de jambon. C'est à la fois drôle, effrayant, et pathétique. En outre, cela ressemble fort bien à notre réalité. En effet, qui n'a jamais fait de rêves rocambolesques pleins de situations absurdes?
Les personnages sont torturés. Ils ne sont pas vraiment attachants, sauf Sarah. La plupart sont, comme beaucoup de personnages de Brussolo, portés par une idée fixe, un rêve qu'il veulent voir concrétiser. Judith a été usée par les prédictions de sa mère et par la vie. Il lui faut un bouc émissaire.
D'autres personnages (dont je tairai les noms) souffrent de cette folie obsessionnelle que Brussolo se plaît à explorer.
Sarah est attachante parce que le lecteur la comprend. Elle s'est construite sur une enfance frustrée, incomprise, marquée par la réprimande et l'absence de communication. Elle souffre de cette inertie que je reproche à certains personnages brussoliens, mais on la lui pardonne volontiers. Elle attire plus la compassion que l'envie de frapper, même si elle cherche à être rudoyer afin d'expier. Ses tortures mentales et physiques nous la rendent plus proche, plus vraie. Ce livre pourrait presque être l'analyse du personnage de Sarah pour qui cette expédition à Gotherdale sera une initiation, une fin, et un commencement.
Note: J'ai lu ce roman dans le cadre du challenge Serge Brussolo organisé par Bambi Slaughter.
Éditeur: Denoël.
La version audio que j'ai entendue a été enregistrée par Marie-Philippe Lachaud.
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